Devant plus d’une centaine de participants réunis au Parlement européen à Bruxelles, les Coalitions européennes pour la diversité culturelle ont organisé le 11 février une conférence intitulée « Quelle fiscalité pour les biens et services culturels et audiovisuels à l’ère du numérique ? »
Des membres du Parlement européen et de la Commission européenne ainsi que des représentants du monde de la culture et de l’audiovisuel ont échangé autour des enjeux et des défis que posent le numérique sur la fiscalité des biens culturels et plus généralement sur la contribution des nouveaux acteurs de l’Internet au financement de la création. Des échanges qui ont permis de poser le constat de l’urgence de la modernisation de la fiscalité culturelle et d’esquisser des propositions pour réussir l’intégration des opérateurs du numérique dans le cadre des politiques de soutien à la création.
Panel 1 : Comment intégrer les multinationales du numérique dans la fiscalité et dans l’économie de la création ?
La mondialisation du commerce, et le développement d’internet ont permis l’émergence de multinationales du numérique (pour ne citer que les plus connues : Google, Amazon, Facebook, Apple). Affranchies des frontières territoriales et de législations nationales devenues rapidement obsolètes, ces entreprises ont su profiter de leur éparpillement géographique pour profiter des failles des règlementations fiscales. Et échapper ainsi aux contributions que les Etats européens seraient en droit d’attendre d’elles au regard des importants bénéfices qu’elles génèrent sur leur territoire.
Dans l’Union européenne, la perte de revenus due à la fraude et aux stratégies d’optimisation fiscale a été estimée à 1000 milliards d’euros par an. Mais au-delà d’un manque à gagner évident pour des Etats qui ont cruellement besoin de ressources budgétaires, l’optimisation fiscale agressive relève de la concurrence déloyale, vis-à-vis d’entreprises locales et nationales qui s’acquittent de leurs impôts et taxes. Une concurrence déloyale qui n’épargne pas le monde culturel : en effet, ces multinationales ne participent pas non plus aux mécanismes de financement de la création, alors même qu’elles proposent des œuvres culturelles et qu’elles concurrencent les services déjà établis. Cette pratique soulève plus généralement des questions fondamentales, sur l’équité fiscale et la justice sociale.
Alors qu’un groupe de réflexion de haut niveau sur la fiscalité de l’économie numérique a été créé en novembre dernier par le commissaire européen Šemeta et devrait rendre ses conclusions à l’été prochain, le sujet est plus que jamais d’actualité : alors, que peuvent faire les Etats et l’Union européenne ?
Panel 2 : La fiscalité qui pèse sur la culture est-elle la bonne ?
Harmonisée au niveau européen, la réglementation TVA est loin d’être satisfaisante en matière de services numériques (services de vidéo à la demande, musique en ligne, livres numériques, etc), même si elle a pu apporter des améliorations. Le système actuel, selon lequel le lieu d’imposition est celui où le fournisseur est établi, incite des firmes numériques telles qu’Amazon ou iTunes à s’installer au Luxembourg, pays qui dans l’Union affiche le taux de TVA le plus faible.
Il crée de ce fait une concurrence déloyale vis-à-vis des autres pays, et des entreprises qui n’y ont pas établi leur siège social. A ce problème de taille s’ajoute une incohérence dans les textes: le droit européen différencie les taux de TVA selon le type de supports, appliquant par exemple des taux différenciés au livre papier et au livre numérique. Une discrimination qui semble indéfendable au regard de la neutralité technologique, de l’objectif de convergence entre les supports physiques et numériques, et du potentiel de croissance de ce segment de marché.
La réglementation TVA est cependant en passe d’être partiellement réformée : à partir de 2015, la TVA pour les services fournis par voie électronique relèvera du pays où réside l’utilisateur. Une réforme qui devrait résoudre de nombreux problèmes. Mais, en attendant, le secteur culturel souffre de cette législation imparfaite et les Etats n’hésitent pas à adopter des réglementations dérogatoires pour y remédier. La France et le Luxembourg ont ainsi décidé d’appliquer un taux de TVA réduit sur les livres numériques. Une décision pour laquelle la Commission européenne avait ouvert une procédure d’infraction fin 2012.
Cette situation intenable et indéfendable appelle donc l’adoption de solutions concrètes et rapides au niveau européen, avant 2015. Il est urgent de veiller en particulier à ce que les œuvres distribuées sur des supports numériques puissent bénéficier d’une fiscalité spécifique aux biens culturels. Rien ne serait plus nécessaire.
Crédit photos : Nicolas Lobet