Chaque année, la Coalition française pour la diversité culturelle remet des prix pour récompenser des initiatives ou des personnalités qui placent la diversité culturelle au cœur de leur action.
Michaëlle Jean et l’association l’Art éclair ont reçu les Prix le 15 février dernier des mains de Pascal Rogard, président de la Coalition française pour la diversité culturelle et directeur général de la SACD.
Le fondateur de l’Art éclair, Olivier Brunhes, a reçu le prix pour la compagnie de théâtre dont le but déclaré est de « favoriser la création théâtrale pour sortir de l’isolement, mais aussi de sortir le théâtre de son isolement ». Michaëlle Jean, l’actuelle secrétaire générale de la Francophonie et 27e gouverneure générale du Canada, a reçu le prix pour l’Organisation internationale de la Francophonie. Nous reproduisons ici son discours.
De gauche à droite (entre parenthèses, le pays représenté à l’Organisation internationale de la Francophonie) : Iason Kasselakis (Grèce), Séverine Gondeau Dusaintpere (Monaco), Dragica Ponorac (Macédoine), M. Aref (Egypte), Dritan Tola (Albanie), Amadou Sangaré (Burkina Faso), Madjingar Djougnaning (Tchad), Ado Elhadji Abou (Niger), Jean Joseph Atangana (Cameroun), Abdou Touré (Côte d’Ivoire), Pech Sophath (Cambodge), Le Hong Phan (Vietnam), Michaëlle Jean, Pascal Rogard, Ayeid Mousseid Yahya (Djibouti), Maria Theofili (Grèce), Michel Robitaille (délégué général du Québec à Paris), Elaine Ayotte (Canada), Jacques Kabale (Rwanda).
Discours de la secrétaire générale de la Francophonie,
SE Madame Michaëlle Jean,
À l’occasion de la remise du « Prix diversité culturelle 2015 » décerné à l’OIF par la Coalition française pour la diversité culturelle
Paris, 15 février 2016
Excellences,
Mesdames et Messieurs les Ambassadrices et les Ambassadeurs,
Monsieur le Président de la Coalition française pour la diversité culturelle, cher Pascal Rogard,
Monsieur Olivier Brunhes, Président d’Art éclair,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
C’est un honneur et une fierté de recevoir le Prix de la diversité culturelle 2015 que vous avez souhaité attribuer à l’association l’Art éclair et à l’Organisation internationale de la Francophonie.
Pour cela, je veux vous dire merci!
Merci du fond du cœur, Monsieur le Président.
Merci à tous les membres de la Coalition française pour la diversité culturelle.
Vous comprendrez que je veuille partager ce grand honneur et cette belle marque de reconnaissance, avec mes deux illustres prédécesseurs à la tête de la Francophonie, Boutros Boutros-Ghali et Abdou Diouf.
Je veux redire, ici, le rôle tout à fait déterminant qu’ils ont joué en faveur de l’élaboration, de l’adoption et de la mise en œuvre de la Convention de l’Unesco sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.
Cet honneur, je veux aussi le partager avec tous les membres du personnel de l’OIF, dont certaines et certains sont présents ici ce soir. Ils se sont mobilisés à toutes les étapes du processus et continuent à porter une attention ardente et vigilante à ce dossier.
Mesdames et Messieurs,
Pour notre Organisation, la diversité culturelle n’est pas une cause comme les autres, parce que depuis les origines, Francophonie et culture sont indissociables !
Oui, La Francophonie a été culturelle avant d’être politique et économique. La voici aujourd’hui portant de manière féconde toutes ces dimensions de l’expérience humaine.
Et sans doute est-ce cette conception originale et visionnaire pour son époque qui nous a permis, mieux que d’autres organisations sans doute, ou pour le moins plus vite, de faire émerger et prospérer, année après année, des champs nouveaux de coopération et de solidarité, de faire émerger cette Francophonie intégrale désormais également au service de l’éducation, du développement humain et économique durable, de la démocratie, des droits et des libertés, et de la paix.
Je ne peux m’empêcher, à cet égard, de penser à cette phrase que l’on prête à Jean Monnet, artisan de la construction européenne :
» Si c’était à refaire, je commencerais par la culture. »
L’évidence est là ! Une communauté de peuples, à l’instar de l’Union européenne, de l’Organisation internationale de la Francophonie, et de tant d’autres communautés encore, se définit moins par la géographie que par : le partage de valeurs, d’une certaine vision du monde et dans notre cas, d’une langue commune.
C’est bien la langue française qui nous permet de faire entrer en résonance toutes nos cultures qui sont autant d’expressions d’une histoire, de traits de civilisation, de manières de voir le monde, de dire le monde, d’être au monde, qui sont aussi autant de gages de progrès et d’enrichissement mutuel.
Là est la force de la culture.
Là est la force de la diversité culturelle.
Et c’est cette force, que votre Coalition comme l’OIF ont voulu préserver. Nous nous sommes toutes et tous mobilisés pour que cette diversité soit, à l’Unesco, en 2005, érigée en principe dedroit international.
Il n’était que temps, face à la menace d’uniformisation et de standardisation. Menace générée par le processus de mondialisation qui a favorisé le pouvoir quasi monopolistique d’entreprises transnationales de contrôler et de diffuser, à l’échelle de la planète, le divertissement, l’information, le rêve, et de façon plus insidieuse, les valeurs et les normes.
Menace générée, aussi, par la déferlante des innovations technologiques qui met au défi les cultures de s’adapter pour pouvoir conserver leurs singularités.
Nous pouvons donc, toutes et tous ici, être fiers de l’étape franchie en 2005, mais l’œuvre est inachevée. Car, même si la Convention de l’Unesco est devenue une référence, même si 70 des 80 États et gouvernements de la Francophonie sont parties à cette Convention, même si 41 de nos pays l’ont ratifiée, la diversité des expressions culturelles est encore, malheureusement,loin d’être acquise.
Tout d’abord, la transcription au plan national, du droit international culturel porté par la Convention, représente toujours un enjeu de taille, notamment pour les pays du Sud qui ont besoin d’être accompagnés dans l’élaboration et la mise en œuvre de leurs politiques culturelles.
Nous savons, également, que les logiques mercantiles, qui s’expriment dans les accords bilatéraux et régionaux de libre échange, sont une menace persistante, lorsqu’ils tendent à ne pas reconnaître la spécificité des biens et services culturels.
Par ailleurs, la solidarité est mise à rude épreuve: puisque le Fonds international pour la diversité culturelle, issu de la Convention, peine à recueillir les contributions volontaires des Etats Parties.
Nous savons, enfin, que, sous les effets de la numérisation, et surtout de la convergence: les écosystèmes culturels, les modèles économiques, les usages et les attentes des publics ont profondément été modifiés en l’espace de dix ans et continuent sans cesse de l’être.
Face à ces défis, je peux vous assurer que l’Organisation internationale de la Francophonie reste mobilisée, et qu’elle s’attache à adapter ses programmes aux évolutions en cours.
Outre l’appui, de longue date, de l’OIF à la production audiovisuelle, la promotion des littératures, le développement de la lecture publique, le soutien à la circulation des artistes, l’accompagnement de ses pays membres dans la production et la diffusion de leurs expressions culturelles, depuis 10 ans, notre organisation œuvre davantage pour le renforcement des politiques et le développement des industries culturelles à l’heure du numérique.
Oui ! l’OIF continue et continuera de rassembler, de fédérer et d’agir pour la diversité culturelle, avec une volonté décuplée parce que le combat pour la culture et la préservation de leur diversité est devenue un enjeu politique fondamental à l’échelle de la planète, un enjeu de civilisation.
Mesdames et Messieurs,
Il faut que vous sachiez que nous avions choisi, en novembre dernier, de célébrer le 10ème anniversaire de l’adoption de la Convention de l’Unesco, à Bamako, en terre malienne. C’était notre manière de réaffirmer notre solidarité avec le peuple malien, de saluer sa résistance et de dire que la profanation et la destruction, en 2012, par des groupes djihadistes, des mausolées de Tombouctou, nous incitaient à la remobilisation.
L’attaque meurtrière de l’hôtel Radisson Blue, à Bamako, la prise d’otages dont ont été victimes certains membres de notre personnel, le décès tragique de l’un de nos experts, nous ont bien entendu conduits à annuler cette célébration et toutes les manifestations qui s’y rattachaient. Mais je veux vous dire que nous ne renoncerons jamais.
Parce que nous savons, maintenant, que le saccage, à grands renforts d’images, des mausolées de Tombouctou, des manuscrits de la bibliothèque Ahmed Baba, comme des Bouddhas de Bamyiyan en Afghanistan, ou du sanctuaire d’Al Askari en Irak, ne sont en rien des effets collatéraux. Ce sont des attaques volontaires, ciblées, symboliques, contre tout ce qui incarne précisément la diversité des cultures. C’est l’affirmation de ce refus totalitaire de la différence au nom de la différence.
Ne vous méprenez pas sur mes propos. Evoquant la destruction de ce patrimoine millénaire, je n’oublie pas les victimes innocentes du terrorisme, je n’oublie pas ces populations terrorisées, ces populations obligées de quitter leur foyer, leurs racines pour un ailleurs de fortune.
Mais là encore à travers ces victimes innocentes, c’est bien souvent l’accès à l’éducation et à la culture, la liberté d’expression, la volonté d’ouverture sur le monde que l’on assassine.
Alors, nous devons plus que jamais affirmer notre volonté de préserver la beauté du monde qui s’exprime dans la riche diversité de ce que nous sommes. Cette vision il nous faut la défendre, la célébrer toujours et la protéger, comme un acte de résistance.
Ne nous y méprenons pas !
Nous ne sommes aucunement en présence d’un choc ou d’une guerre des civilisations. C’est d’un combat entre deux projets de société à l’échelle du monde dont il s’agit : l’un fondé sur la destruction, la régression, l’obscurantisme ; l’autre sur la construction, le progrès, l’esprit des Lumières, de toutes nos lumières.
Ce dernier projet est partagé par des milliards d’individus dans le monde, quelle que soit leur culture, leur religion, la civilisation qui les a nourris.
C’est ce projet que nous devons, tous ensemble, avec obstination, conviction, détermination, faire prospérer jour après jour. Pour que se réalise, enfin, ce rêve d’un monde plus juste, plus libre, plus prospère, plus fraternel.
Je vous remercie.